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Le Figaro 22 juillet 2015 FranceFrance

Éolien : le préjudice moral reconnu

Des habitants ont obtenu la condamnation de leur élu, qui avait implanté des éoliennes sur son terrain contre une indemnité annuelle.

Par Delphine de Mallevoüe

JUSTICE C'est une décision rarissime. Si nombre d'élus sont poursuivis depuis quelques années pour prise illégale d'intérêts dans des projets d'implantation d'éoliennes, peu sont condamnés, encore moins à verser des dommages et intérêts pour préjudice moral à leurs administrés. C'est le cas de Patrick Vanbecelaere, conseiller municipal de Courvaudon, une petite commune du Calvados de 215 habitants.

Le tribunal correctionnel de Caen l'a condamné à payer une amende de 15.000 euros pour son délit pénal mais aussi à verser 300 euros en réparation morale à chacun des treize habitants qui s'étaient constitués parties civiles dans son procès. Il doit aussi payer un euro symbolique à titre de dommages et intérêts à l'association «Vent de colère en Pré Bocage», également partie civile, ainsi que 2000 euros pour les frais d'avocats engagés par les 14 plaignants.

L'élu avait participé à des votes du conseil municipal en faveur de l'installation d'un parc éolien alors qu'il avait contracté un bail avec la compagnie initiatrice du projet pour héberger une éolienne et un poste de livraison sur un terrain appartenant à ses parents et dont il était lui-même locataire comme exploitant agricole. Ce petit arrangement devait lui rapporter une indemnité annuelle d'environ 3 500 euros, selon le jugement correctionnel, ainsi que le versement d'un loyer à ses parents. Pour l'heure, l'élu n'a rien touché puisque les éoliennes n'ont pas encore été construites. Ce qui rend sa condamnation pénale à 15 000 euros « excessive », juge son entourage. D'autant plus « si on considère la moyenne des autres peines prononcées en la matière », oscillant entre 1 500 et 2 000 euros, souligne sa défense.

Maires, présidents de communauté de communes (CDC), conseillers municipaux... en Bretagne, en Basse-Normandie, en Haute-Loire ou encore dans l'Hérault, la pratique est répandue. Car elle est juteuse. Ces baux vont de vingt à trente ans en moyenne, pouvant rapporter au bailleur jusqu'à 100 000 euros annuels, en fonction du nombre d'éoliennes sur ses terrains. Comme ce maire d'une petite commune du Pas-de-Calais, propriétaire de champs où cinq éoliennes, sur un parc de dix, lui apportent une rentabilité de 900 euros mensuels par éolienne, soit 54 000 euros par an. Ou cet autre d'une bourgade voisine, dont les 10 mâts implantés par son entremise d'élu lui rapportent 108 000 euros annuels. Ces dérives sont telles que le Service central de prévention de la corruption (SCPC) a tiré la sonnette d'alarme dans son rapport d'activité 2013, publié l'année suivante. Il y décrit un « phénomène d'ampleur » sur « une grande partie du territoire national ».

« Victimes morales »

La loi est pourtant claire : « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement est puni de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende », dit l'article 432-12 du Code pénal.

L'élu de Courvaudon a interjeté appel de sa condamnation. Quant aux parties civiles, elles forment un appel « incident », ayant été déboutées de leur demande de réparation du préjudice matériel subi, qu'elles estimaient valoir de 13 000 à 70 000 euros selon les cas. Si le tribunal leur a reconnu un préjudice moral, il a estimé en revanche que « les victimes n'établissent pas la réalité d'un préjudice matériel ». Reste que « cette décision est une avancée majeure, selon Fabien Bouglé, porte-parole du réseau anti-éolien Ulysse. Désormais, elle établit qu'il y a des victimes morales de l'éolien », considère-t-il.