Dernière mise à jour : 24 août 2023

Contrepoints 22 mai 2017 France

Transition énergétique : ce que dit l’Académie des sciences

L’Académie des sciences se montre très critique vis à vis de l’actuelle loi de transition énergétique en France.

Électricités renouvelables intermittentes
Le recours aux énergies renouvelables est a priori attrayant, mais il ne faut pas oublier les réalités.

Par Michel Gay

Dans sa communication du 19 avril 2017, l’Académie des sciences dresse un état critique de l’actuelle loi de transition énergétique en France. Voici ce qu’elle en dit.

Les programmes en matière de politique énergétique devraient mieux tenir compte des contraintes physiques, technologiques et économiques de chaque pays.

Dans l’état actuel du débat, nos concitoyens pourraient être conduits à penser qu’il serait possible de développer massivement les énergies renouvelables comme moyen de décarbonation du système en le débarrassant à la fois des énergies fossiles et du nucléaire.

Le recours aux énergies renouvelables est a priori attrayant, mais il ne faut pas oublier les réalités. L’électricité ne représente que 25 % de la consommation d’énergie de la France. Il faut donc bien distinguer le mix énergétique (qui concerne l’ensemble de nos activités) du mix électrique.

La puissance disponible issue de l’ensemble des éoliennes réparties en France tombe souvent à 5 % de la puissance affichée. Cette variabilité des énergies renouvelables éoliennes et surtout solaires nécessite la mise en œuvre d’énergies alternatives pour pallier cette intermittence et compenser la chute de production résultant de l’absence de vent ou de soleil. Les échanges d’énergie en Europe ne pallient pas ce problème, car les nuits sont partout longues à la même période, et les absences de vent souvent simultanées.

Une solution à cette intermittence pourrait être le stockage massif de l’électricité dans les périodes excédentaires pour la rendre disponible aux moments où elle est nécessaire. Mais les capacités de stockage hydroélectrique, en France, sont presque saturées et, à l’heure actuelle, il est impossible de stocker les 10 TWh (1TWh = 1 milliard de kWh) que la France consomme en moyenne chaque semaine.

Pour stocker seulement deux jours de cette consommation, avec une technologie performante lithium-ion, il faudrait 12 millions de tonnes de batteries utilisant 360 000 tonnes de lithium, sachant qu’environ 40 000 tonnes de ce métal sont extraites chaque année !

D’autres solutions sont envisagées, comme le stockage chimique à travers l’électrolyse de l’eau qui produit de l’hydrogène. Mais ces solutions sont trop chères, leur rendement est faible et leur maturité technologique réduite. Des solutions industriellement viables à l’échelle du pays ne sont pas envisageables à un horizon prévisible.

Afin de minimiser le risque de black-out à l’échelle de notre pays, voire de l’Europe, il est important d’anticiper les problèmes de stabilité de réseau qui pourraient résulter de variations soudaines des niveaux de vent ou d’ensoleillement.

Une production d’électricité qui garantit la consommation du pays nécessite la disponibilité des énergies « à la demande » auxquelles on peut faire appel en permanence.

Le cas de l’Allemagne est exemplaire. En 2011 l’Allemagne décide de sortir du nucléaire, dont la contribution à la production électrique n’était que de 22 % en 2010, sortie qui en conséquence ne représente pas les mêmes défis qu’une sortie du nucléaire en France (où le nucléaire représente 75% de la production nationale). Six ans plus tard, la part du nucléaire est de 13 %, celle des renouvelables de 30 %. Mais la part des combustibles fossiles reste de 55 %. La croissance de l’offre intermittente d’électricité produite par les renouvelables a nécessité l’ouverture de nouvelles capacités de production thermiques à charbon et un développement de l’exploitation du lignite. De sorte que l’Allemagne continue à être l’un des pays européens les plus gros émetteurs de CO2 pour un prix de l’électricité le plus élevé. On ne peut pas parler d’un succès.

La France est, parmi les pays développés, l’un des plus faibles émetteurs de gaz à effet de serre par habitant (environ deux fois moins qu’en Allemagne, trois fois moins qu’aux États-Unis). C’est l’un des plus avancés dans la production d’électricité décarbonée. L’Allemagne émet 6,2 fois plus de CO2 par kilowattheure produit (1) que la France. Cette sobriété relative en CO2 est le résultat de la solution actuellement dominante en France, l’énergie nucléaire, qui fournit 75 % de notre électricité. L’énergie nucléaire est objectivement le moyen le plus efficace pour réduire la part des énergies fossiles dans la production d’énergie électrique.

Il y a une véritable contradiction à vouloir diminuer les émissions de gaz à effet de serre tout en réduisant à marche forcée la part du nucléaire.

La part totale des énergies renouvelables dans le mix électrique ne pourra pas aller très au-delà de 30-40 % sans conduire à un coût exorbitant de l’électricité et des émissions croissantes de gaz à effet de serre et à la mise en question de la sécurité de la fourniture générale de l’électricité.

Le problème des 75 % d’énergie non électrique consommés par les transports, l’habitat, l’industrie est autrement redoutable. Ces secteurs resteront pour plusieurs décennies encore quasiment hors d’atteinte des renouvelables. Notre électricité décarbonée permettrait d’ores et déjà à la France de transférer vers l’électricité certaines des activités utilisant des combustibles fossiles, pour le plus grand bien de sa balance commerciale et de la baisse de ses émissions.

Les citoyens doivent aussi être plus exigeants et demander à leurs élus de travailler à des scénarios réalistes et cohérents qui évitent les idées reçues. Ces scénarios doivent indiquer une trajectoire raisonnable vers une solution énergétique où l’énergie nucléaire aura sa place dans les prochaines décennies pour maintenir une électricité décarbonée.

Il serait judicieux de porter l’effort sur les économies d’énergie dans le bâtiment, le transport, l’industrie sources de compétitivité, d’innovations et d’emplois.

Cette communication de l’Académie des sciences n’a pas été reprise par les grands médias qui préfèrent se délecter des annonces tonitruantes fondées sur l’exploitation émotionnelles des peurs du nucléaire provenant de Greenpeace et d’autres associations « indépendantes ».

1. La France produit 540 TWh d’électricité avec des émissions de 46 Mt CO2/an, alors que l’Allemagne produit 631 TWh d’électricité en émettant 334 Mt CO2/an.