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Marianne 29 mars 2019 France

La fin du monde en marche

Pascal Canfin et Pascal Durand rejoignent donc, la fleur (sans pesticides) au fusil, la liste LREM pour colorer de vert les ambitions macroniennes de réformer l’Europe.

Natacha Polony
Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne

Par Natacha Polony, directrice de la rédaction

Il faut reconnaître que cela fait envie, toute cette jeunesse qui défile chaque vendredi, pour sommer les adultes d’agir, au point de sacrifier, dans une prise de risque inouïe, quelques heures de cours, sous les yeux attendris de leurs parents. Et cette marche pour le climat qui réunit 50 000 personnes à Paris, sous les applaudissements des médias enthousiasmés par le sens des responsabilités de ce public tellement plus présentable que celui des ronds-points. On y trouve même deux ministres, Gabriel Attal et Brune Poirson, venus défiler contre l’inaction de… eh bien, de leur gouvernement — c’est dire le sérieux de ladite marche et sa puissance contestataire. Sans parler de « L’affaire du siècle », une pétition qui a réuni 2 millions de signatures en un mois, pour attaquer en justice l’État français, là encore pour inaction face aux urgences climatiques. Deux millions de clics, qui pourraient se transformer en 2 millions de voix, surtout lors d’une élection, l’élection européenne, dont on a coutume de penser qu’elle offre une prime aux écologistes. Pourquoi ? Là est sans doute le plus délicieux : parce que, nous disent les commentateurs, les citoyens n’en voient pas l’enjeu, et votent donc en fonction de leurs envies et de leurs aspirations. Rien à voir avec l’élection présidentielle. Là, on ne plaisante plus, on vote sur du lourd, contre le chômage et pour la croissance… Et pour quel résultat !

Donc, l’élection européenne, c’est la grande foire aux écolos. Tout le monde rêve de réitérer l’exploit de 2009 : 16 % pour Europe Ecologie-Les Verts, devenu par la suite une usine à produire d’ambitieux ministrables pour sociaux-démocrates en quête de supplément d’âme. Il faut dire que l’exploit devait tout au marketeur en chef de l’écologie pour les nuls : Daniel Cohn-Bendit. Le fait qu’il est devenu par la suite le premier soutien d’un ancien ministre de l’Économie capable de signer tous les permis d’exploitation minière et autorisations d’extraction de sable marin qui passaient à sa portée ne semble inquiéter personne. Que cet ancien ministre soit devenu un président de la République capable d’effacer en une nuit de la feuille de route de son ministre de l’Écologie l’idée d’une taxation des transactions financières ou de vider de leur substance les États généraux de l’alimentation ne dérange pas non plus. Pascal Canfin et Pascal Durand rejoignent donc, la fleur (sans pesticides) au fusil, la liste LREM pour colorer de vert les ambitions macroniennes de réformer l’Europe. Les mêmes qui nous expliquaient depuis trente ans qu’il fallait voter pour l’Union européenne telle qu’elle est, avec dumping et paradis fiscaux, pour qu’un jour elle puisse devenir « sociale », nous disent aujourd’hui qu’il faut l’accepter avec ses traités de libre-échange pour qu’un jour elle puisse être écolo.

En face, bien sûr, on enrage. Parce que chacun réclame la première place sur le podium des champions du climat. La France insoumise, Génération.s, Place publique, EELV, bien sûr... L’écologie est l’horizon politique du XXIe siècle, le seul discours mobilisateur, la seule promesse révolutionnaire. Même le Rassemblement national parle de filières courtes et d’agriculture locale. Le millénarisme contemporain nous montre le camp du bien : il communie lors des COP21, 25 ou 42. Et tant pis si la tant vantée COP21 avait à peine mentionné la préservation des ressources halieutiques ou la réflexion sur les sols, préférant s’intéresser à ces droits d’émission de carbone qui, eux, se vendent sur le marché.

C’est tout le problème des enjeux écologiques. Toute réflexion honnête et lucide en la matière démontre qu’ils imposent une révolution à la fois économique, financière, urbanistique et culturelle, pour sortir du consumérisme et de la division mondiale du travail qui sont au cœur de notre modèle. Ce qu’avait esquissé Nicolas Hulot en annonçant sa démission du gouvernement. Mais la crise des « gilets jaunes », et le réflexe premier de tous les acteurs médiatiques et politiques, qui fut d’abord de reprocher à ces classes moyennes égocentriques de penser à la « fin du mois » quand on leur parlait de « fin du monde », nous rappelle surtout que pas un n’a véritablement réfléchi au lien pourtant essentiel entre écologie et démocratie.

Les citoyens ne reprendront véritablement le pouvoir que par l’émancipation vis-à-vis du système consumériste qui fait d’eux des rouages de la machine économique. En se réappropriant la consommation et la production, en même temps que le pouvoir de décision, ils peuvent enrayer la mécanique qui nous mène au chaos. Encore faut-il ne pas les prendre pour des ploucs arriérés sous prétexte qu’ils s’élèvent contre les injustices sociales et le mépris des gouvernants et des experts plutôt que de marcher pour le climat.