Dernière mise à jour : 24 août 2023

Le Point 17 juin 2019 France

« On n’a pas trouvé mieux que le nucléaire pour produire de l’électricité sans trop polluer »

ENTRETIEN. Jean-Marc Jancovici, créateur d’un think tank dédié à la décarbonation de l’économie, prône le maintien du nucléaire dans la transition énergétique.

La centrale de Cattenom, en Lorraine. (photo © Patrick Hertzog / AFP)

Propos recueillis par Michel Revol

Jean-Marc Jancovici
Jean-Marc Jancovici, président de The Shift Project, lors de la présentation du Manifeste pour décarboner l’Europe.
© Nicolas Tavernier/REA

Édouard Philippe a donc verdi la suite du quinquennat. « Ces 12 prochains mois seront ceux de l’accélération écologique », a lancé la semaine dernière le Premier ministre lors de son discours de politique générale devant les députés. Pour ce faire, il a annoncé diverses initiatives, dont l’accélération du rythme des appels à projets dans l’éolien offshore et la fin des quelques centrales à charbon qui fonctionnent toujours un peu, dont celle du Havre.

Édouard Philippe ne l’a pas redit, mais le nucléaire est lui aussi soumis à une cure d’amaigrissement : 14 réacteurs (sur les 58 en fonction) devront être arrêtés d’ici 2035. À cet horizon, la part du nucléaire dans le mix énergétique du pays devrait être réduite à 50 %, contre un peu plus de 70 % aujourd’hui. Les éoliennes, le solaire et quelques autres sources de production d’énergie dite « propre » comme la biomasse devront prendre le relais. Les défenseurs du renouvelable sont à la fête. En fin de semaine dernière, une bonne nouvelle les a confortés dans leur combat : un parc de 75 éoliennes en mer au large de Dunkerque, révélé par François de Rugy, le ministre de la Transition énergétique, produira de l’électricité à 50 euros le mégawattheure, largement sous le prix promis pour les EPR, la future génération de réacteurs nucléaires (70 euros à l’horizon 2030). Un prix tellement compétitif que la Commission de régulation de l’énergie a demandé des explications complémentaires...

Jean-Marc Jancovici n’adhère pas à l’histoire de la transition énergétique telle que la racontent le gouvernement et tous ceux qui, à ses yeux, s’emparent du sujet sans le connaître. Selon cet ingénieur, fondateur du site The Shift Project, un think tank dédié à la décarbonation de l’économie, la transition doit être menée avec le nucléaire. Les énergies renouvelables ne viennent, selon lui, qu’en appoint. Leur impact sur l’environnement est en effet, assure Jancovici, beaucoup plus néfaste qu’annoncé par leurs promoteurs. Alors que Le Point consacre cette semaine sa couverture et un dossier à l’écologie et à la science, il s’en explique, sans prendre de pincettes.

Le Point : Le nucléaire souffre d’une assez mauvaise image en France, beaucoup de ceux qui s’expriment sur la transition énergétique l’excluent de la réflexion... Pourquoi, selon vous  ?

Jean-Marc Jancovici : La plus grosse caisse de résonnance sur ce sujet, ce sont les médias. Or nombre de journalistes pensent, à tort, que le « droit au débat » s’applique aux faits comme aux opinions. Ils deviennent alors, magré eux, complices de mensonges. La plupart de ceux qui doivent traiter de ce sujet ne maîtrisent pas les règles permettant de distinguer le fait de l’opinion. Quand une télévision ou une radio organisent un plateau sur le nucléaire, elles n’invitent jamais ni médecin, ni ingénieur, ni physicien, c’est-à-dire les dépositaires des faits. Pourquoi ? En général, on se contente de donner le micro à quelques anti-nucléaire, qui prennent toujours des libertés avec les faits. Je note aussi que les médias les plus hostiles au nucléaire sont ceux du service public. C’est peut-être pour eux une façon de montrer qu’ils sont indépendants du pouvoir. Évidemment, si les faits sont mal rapportés, les conclusions que chacun en tire sont faussées. Par exemple, 80 % des Français pensent que le nucléaire contribue au réchauffement climatique. Or, on peut penser ce que l’on veut du nucléaire, mais casser un noyau d’uranium en deux (ce qu’on appelle la fission) n’est pas équivalent à oxyder un atome de carbone (la combustion). Pourquoi ce simple fait — et d’autres aussi élémentaires — n’est-il pas rappelé dans la presse ?

Les Français soupçonnent aussi les autorités de leur cacher le vrai coût, financier et environnemental, du nucléaire.
Il y a toujours cette image du Pr Pellerin annonçant en 1986 à la télévision que le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à nos frontières...

Voilà un autre exemple de fausse information que les médias véhiculent. Le Pr Pellerin n’a jamais dit ça. Il a affirmé que la radioactivité arrivant en France à cause de cet accident était détectable, mais pas dangereuse. C’est Noël Mamère qui a lancé cette formule-choc, et il a, du reste, été condamné pour diffamation envers Pellerin. Les archives de presse de l’époque, que tout journaliste reprenant cette information sur le nuage devrait commencer par consulter, sont très claires sur le fait que la population a bien été informée. Cela n’empêche pas la théorie du complot d’avoir des adeptes !

On ne peut écarter la dangerosité du nucléaire, pourtant.

Connaissez-vous l’Unscear (Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants, NDLR) ? La presse ne parle jamais de cette instance de l’ONU, qui fonctionne pourtant comme le Giec, mais sur les dangers sanitaires du nucléaire. Son rapport sur Fukushima affirme que cet accident n’a pas fait de victimes à cause du surplus de radiations. Le nucléaire reste bien moins dangereux que les barrages, par exemple. En 1975, la rupture de l’ouvrage de Banqiao a causé la mort de 20 000 à 100 000 personnes en Chine. L’édification du barrage des Trois-Gorges, là aussi en Chine, a provoqué le déplacement d’un million d’habitants. Et d’après la revue scientifique The Lancet, le charbon tue 30 personnes par milliard de kilowattheure produit. Voilà les faits.

Sans doute, mais le risque nucléaire n’est-il pas surtout potentiel  ?

Dans notre pays, l’abondance de l’information médiatique sur un risque est rarement en lien avec sa réalité. 20 000 Français meurent chaque année d’accidents domestiques, dont à peu près personne ne parle, mais dès qu’un marteau tombe sur le pied d’un ouvrier dans une centrale ça fait la une des journaux  ! Les Français ont plus peur des déchets nucléaires, qui ne font aucun mort actuellement, que des accidents de la route, qui provoquent plus de 3 000 décès chaque année. C’est, encore une fois, le problème de l’écart entre le risque perçu et le risque réel. À force, on se tire une balle dans le pied, car, sur le plan environnemental, on n’a pas trouvé mieux que le nucléaire pour produire de l’électricité en grande quantité sans trop polluer.

En matière de pollution, l’éolien et le solaire font aussi bien...

Ça se discute. Il y a de 10 à 100 fois plus de métal dans l’éolien et le photovoltaïque que dans le nucléaire par kilowattheure produit. Il faut donc faire 10 à 100 fois plus de trous dans la terre pour aller chercher les métaux, à production électrique identique. En France, remplacer du nucléaire par de l’éolien et du solaire n’a d’intérêt sur aucun plan. Même sur un plan économique : le nucléaire est garanti alors que l’éolien et le solaire sont tributaires des conditions climatiques du moment. Soit on accepte que l’hôpital, le frigo et le train ne fonctionnent que lorsqu’il y a du vent ou du soleil, soit non. Il faut alors ajouter au coût de production des modes renouvelables intermittents le coût du stockage, ce qui fait repencher la balance du côté du nucléaire.

Mais l’éolien et le solaire produisent peu de déchets, en tout cas pas de déchets radioactifs. Le nucléaire en lègue à nos descendants...

Savez-vous de quand date le plus vieux lieu de stockage de déchets radioactifs au monde  ? De deux milliards d’années ! Il se trouve à Oklo, au Gabon. Des scientifiques ont découvert qu’à cette lointaine époque une réaction nucléaire naturelle a eu lieu sous terre. Ce phénomène a produit des déchets, qui sont restés très exactement sur le lieu de leur formation, avant de disparaître par décroissance radioactive. Cela signifie que le stockage géologique, ça marche. Personnellement, cela me perturbe beaucoup moins que l’épandage de dizaines de milliers de tonnes de produits phytosanitaires chaque année chez nous !

Article du Point — 17 juin 2019