En Aveyron, la résistance s’organise contre l’éolien industriel
Dans le département de l’Aveyron, c’est la ruée sur le vent. Des sociétés privées y rivalisent pour développer des parcs d’éoliennes hautes comme des immeubles. Mais un collectif d’associations s’organise pour dire «stop à l’invasion» et dénoncer les méthodes de «spéculateurs de l’énergie».
Dans cette partie sud du Massif central, 94 éoliennes dominent déjà les vallées verdoyantes.
«Rien que sur notre plateau du Lévézou (Aveyron), il y en a 74. Vous ne trouvez pas que ça fait beaucoup pour une campagne habitée et pas moche du tout?», demande Régis Cailhol, éleveur de brebis pour le roquefort et élu PS à la Région et au Département. «Si tous les projets qui sont dans les cartons sortent, il y en aura plusieurs centaines, ce sera horrible et on s’en ira tous».
Il y a six mois, 27 associations se sont réunies dans un collectif baptisé Sauvons l’Aveyron.
Néo-ruraux ou Aveyronnais de souche, les opposants ont tous les visages, tous les métiers: agriculteurs actifs ou retraités, assistante sociale, ancien pompier, prof de philo, etc. Certains ont réagi quand ils ont appris que des éoliennes de 140 mètres - «hautes comme des tours de 40 étages» - s’installeraient à 500 mètres de chez eux et que le prix de leur maison s’en trouverait «dévalué de 30%». D’autres assurent n’être concernés par aucun projet mais refusent que des paysages soient détruits au profit de «spéculateurs».
Afin de soutenir le développement de la filière, l’État oblige les distributeurs comme EDF à racheter aux exploitants l’électricité éolienne à un tarif supérieur au prix du marché, garanti sur 15 ans.
Un marché si attractif qu’une bonne vingtaine de sociétés privées - majoritairement françaises mais aussi étrangères - font actuellement du démarchage dans le département. «Ce sont des financiers, pas des philanthropes, ils font de l’énergie renouvelable parce que c’est rentable», commente Jean-Pierre Cure, chef du service qui instruit les dossiers éoliens à la Direction départementale des territoires (DDT). «Ici on a des parcs qui sont pratiquement les champions de France de la rentabilité parce que le vent est régulier et les éoliennes tournent plus qu’ailleurs».
Régis Cailhol, lui, ne voit derrière tout ça que «des histoires de sous». «Sur ce territoire rural difficile, on vient dire aux agriculteurs: +si vous ne voulez pas mettre une éolienne sur votre parcelle, on la mettra chez votre voisin+».
Habitant du Causse Comtal, l’avocat Jean Pradié a reçu, il y a huit mois, une proposition d’une société française pour l’installation d’éoliennes sur ses terres. «J’aurais pu en accepter quatre et encaisser 6.000 euros par machine chaque année. J’ai contacté mes voisins et découvert que les promoteurs écrivaient à chacun en demandant de tenir les contrats secrets. Trois personnes, qui n’habitent pas sur place, ont semble-t-il accepté leurs offres...».
Tintamarre et flashes
A l’écart du village médiéval de Castelnau-Pégayrols, un éleveur de vaches de 62 ans préfère témoigner anonymement car il «regrette un peu» d’avoir accepté deux éoliennes dans ses bois. «Nous étions sept agriculteurs à signer une promesse de bail en 2000, sollicités par trois jeunes Français qui ont ensuite monté leur société, Ventura, puis l’ont revendue (en 2005, NDLR) au groupe Theolia».
«Les 13 éoliennes ont été installées en 2006. Ça nous semblait une aubaine financière. Mais ils n’avaient pas dit toute la vérité au départ», assure cet éleveur. «On nous avait montré des éoliennes dans l’Aude qui tournicotaient un peu, sans faire de bruit. Mais les deux installées à 850 mètres de chez moi font un tintamarre quand il y a beaucoup de vent. Et la nuit, je vois les lumières de trois parcs éoliens: ça flashe comme en boîte de nuit».
Alors il voudrait pouvoir refuser une troisième éolienne: «le problème, c’est qu’ils nous avaient fait signer d’avance pour une extension, avant même que les deux premières soient installées.»
Bénéfices pour une minorité
Sentant monter les exaspérations, le directeur de la Direction départementale des territoires (DDT), Philippe Boda, juge qu'«il faut sortir de cette logique d’enfer où les bénéfices sont partagés par une minorité et les nuisances imposées à tous... Il ne faudrait pas qu’on arrive à des exactions sur les installations si la population a le sentiment que les opérateurs s’imposent avec l’appui de l’État».
Il insiste sur «la vigilance» exercée par le préfet: «Il a refusé 30 projets représentant 169 mâts. 122 nouvelles éoliennes ont en revanche été autorisées mais sont en phase de contentieux car dès qu’un permis de construire est accordé, il est contesté par des particuliers ou associations».
«Éolien, l’invasion commence», annonce d’ailleurs une pancarte à l’entrée de Rieupeyroux. Cette commune de 2.000 habitants pourrait accueillir treize éoliennes géantes. Le maire, Michel Soulie, dit attendre «les conclusions de l’étude d’impact pour donner un avis favorable ou défavorable, en fonction de l’intérêt général». Mais il fait valoir que leur implantation «à trois kilomètres à vol d’oiseau du village n’aurait aucune incidence sur le bourg» et que «la communauté de communes bénéficierait d’un apport financier non négligeable» par la récolte des taxes.
Pour le directeur régional d’EDF énergies nouvelles, David Augeix, «un grand défaut de nos concitoyens est de considérer qu’ils vivent dans des territoires qui leur appartiennent et qu’ils aimeraient mettre sous cloche». «Le dialogue est rompu depuis belle lurette avec les groupes extrémistes» d’opposants qui, dit-il, développent «des arguments erronés pour discréditer la filière».
A la DDT, M. Boda admet que «le développement de l’éolien s’est fait de façon assez désordonnée» et que «l’administration et les élus étaient tous un petit peu naïfs».
Sur l’année 2013, le taux de couverture de la consommation par la production éolienne a été en moyenne de 3,3%, selon le Syndicat des énergies renouvelables. A la fin de l’année 2013, la France comptait 4.844 éoliennes.
AFP